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Les grandes illusions
29 août 2007

Un papillon au plafonnier #6.

"Passé l'instant après l'amour, la mauvaise foi, j'avisai la récurrente nature organique des rapports dits humains – avec les humains, du moins - que j'entretenais.
Je décidai de devenir chirurgien. Il faut savoir que j'avais tous les diplômes en poche : à croire que les destins sont gravés sur les tables de classe. Vous comprendrez que le métier m'échappa. On ne peut pas décemment prétendre aimer une jambe que l'on aurait liposucée. Je dû me résigner à ce fait : l'amour en pointillés ne se refait pas.

Mes plans de carrière par deux fois compromis ne firent qu'accroitre ma fascination pour le vol . Je m'improvisai pilote de lignes téléphoniques. Le voyage était court et sans encarts mais il arrivait parfois que la sonnerie ne laisse pas place au décollage voulu, alors je restais avec mon coeur pour seul baggage, j'attendais une voix qui ne venait pas : il s'agissait de leurs voix, puis plus tard, sa voix. Et enfin, il n'y eut plus que le silence au bout du fil.
J'appelais des âmes au hasard, ça n'était pas voulu et souvent je tombais sur des mots graves que j'imaginais pileux, souvent j'annonçais la fin du vol avec le ton terrible des bombardiers. Ces fois là, ma déception ne connaissait pas de bornes, mais quelques pages plus loin – jaunes, elles sont un trésor – je replaçais ma cravate en annonçant un décollage proche. L'anonymat me plaisait, mais ma technique de pointage s'avérait foireuse : les numéros choisis ne l'étaient qu'à partir des prénoms les accompagnant. Pour ma défense, je considérais que savoir le patronyme d'une personne ne la qualifiait pas, et qu'alors on ne la connaissait pas vraiment. En vérité, passé la barrière des surnoms idiots, des appellations tendres et des noms sérieux car imprononçables, l'âme des gens perd tout anonymat.
Je considérais le vol de voix d'une beauté autrement plus décisive et cruelle que celle des vols de coeurs. Certes la tâche me fut plus ardue, mais elle m'apporta une formidable connaissance du corps humain. Savez-vous pourquoi il est si difficile d'aimer aux types qui font la sourde-oreille? Non par mauvaise foi en vérité, mais par surdité sentimentale. Pour aimer, il faut avoir l'ouïe fine. Entendre un battement de coeur est une accession de l'être démesurée.

Joséphine. Le prénom ne me plaisait pas, j'appelai par soucis de distraction. Nous décollâmes, l'âme chavirée. Mon vocabulaire ne s'apparenta plus alors à celui des voleurs d'arrogante voltige, mais à celui des marins les plus naufragés. Joséphine parlait de sirènes et de lagons, je l'aimais nue, sa voix. Son chant me sabordait et c'était bien ainsi. 
Les nuages sont cahoteux, j'espère que vous ne l'ignorez pas. Longtemps donc, je me bornais à nier mon inaptitude à couler en haute altitude. Un jour cependant, j'ouvris mon carnet de bord, annonçai que tous les vols étaient annulés. J'appelai Joséphine une dernière fois, espérant que les derniers n'étaient pas toujours perdants. Elle ne décrocha pas. Je coupai les ponts. Et les fils du téléphone, aussi."

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Commentaires
L
je vous souhaite a tous mes meilleurs voeux -->http://ma-bullebleue.miniville.fr/sec merci @+
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